La crise sape le régime des intermittents du spectacle

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Alx
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La crise sape le régime des intermittents du spectacle

Message par Alx

#1

CULTURE La crise sape le régime des intermittents du spectacle
ANTOINE PECQUEUR
02/02/2021

Au-delà de l’« année blanche », l’interruption de l’activité soulève un grand nombre de problématiques chez les professionnels de la culture : accessibilité aux droits sociaux, écart entre artistes et techniciens… sans oublier la génération sacrifiée des primo-entrants.
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Le discours d’Emmanuel Macron adressé au monde de la culture, en mai dernier, est encore dans toutes les mémoires. Après avoir reçu à l’Elysée une dizaine d’artistes, il avait appelé le secteur à « enfourcher le tigre » face à la crise sanitaire. Au-delà de la formule, le président avait surtout annoncé la mise en place d’une « année blanche » pour les intermittents du spectacle, avec la prolongation des droits aux allocations chômage jusqu’au 31 août 2021.

Le monde culturel s’était alors félicité de cette mesure, dont le coût est évalué à un milliard d’euros. Mais à cette époque, les artistes pensaient pouvoir reprendre normalement leur activité à l’automne. Huit mois plus tard, la reprise est encore loin. Et le régime des intermittents n’a jamais été aussi fragilisé.

Accès très limité au chômage partiel
« La crise actuelle a un effet d’amplification des distorsions de l’intermittence du spectacle », explique Pierre-Michel Menger, professeur au Collège de France et auteur du « Travail créateur » (Gallimard-Seuil). Le monde de l’audiovisuel, où les intermittents, très souvent techniciens, sont déjà ceux qui ont les revenus les plus élevés, souffre actuellement beaucoup moins que le secteur du spectacle vivant, où l’accès au régime est traditionnellement bien plus concurrentiel. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui étaient déjà les plus favorisés. »

Pour entrer dans l’intermittence du spectacle, il est nécessaire de réaliser 507 heures sur douze mois, que l’on soit artiste ou technicien. Le régime, créé par le Front populaire en 1936, permet à un salarié du monde du spectacle travaillant avec des employeurs multiples de bénéficier de l’allocation chômage pendant ses périodes d’inactivité. La crise actuelle favorise assurément les « permittents » (ceux qui font leurs heures majoritairement avec un seul employeur), particulièrement nombreux dans l’audiovisuel.

Lorsque les spectacles sont annulés en raison de la crise sanitaire, les intermittents devraient normalement pouvoir bénéficier de l’activité partielle. Pour y prétendre, même en l’absence de contrat signé, une promesse d’embauche suffit, à condition que figurent quatre éléments : la date, le lieu, la fonction et la rémunération. Mais selon l’Unédic, seulement 12 % des salariés de ce secteur ont profité de ce dispositif entre mars et août dernier. « Beaucoup d’employeurs se disent que l’année blanche suffit et préfèrent ne pas avoir à payer le reste à charge », observe Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT spectacle.

Si les compagnies subventionnées jouent en grande partie le jeu, les producteurs privés, qui ne touchent pas d’argent public, semblent moins enclins à mettre en place ce dispositif. Pourtant, quand la promesse de cachet a été formalisée, l’employeur doit mettre en place l’activité partielle. Le seul cas qui fait débat, entre le ministère du Travail et les syndicats du secteur, concerne les avenants au contrat de travail : la rue de Grenelle argue que si le spectacle est reporté, l’activité partielle n’a pas à être mise en place, tandis que pour les syndicats, la date est une modification substantielle du contrat de travail et donc le report ne peut se substituer au chômage partiel.

Mais même avec l’activité partielle, les conditions sont loin de celles en vigueur en temps normal : « un cachet pour un spectacle est d’habitude comptabilisé douze heures, mais avec l’activité partielle, Pôle emploi le réduit à cinq heures », explique Aurélie Foucher, déléguée générale de Profedim, syndicat professionnel des festivals et ensembles indépendants.

Chute des rémunérations
Par ailleurs, l’« année blanche » ne règle que la question des allocations et ne remplace pas les rémunérations perçues pour les spectacles, les concerts... « Or, les cachets représentent environ deux tiers des revenus, précise Frédéric Chhum, avocat spécialisé dans le domaine de l’intermittence. On évalue en moyenne le montant des allocations à 1 000 euros par mois. Même si aujourd’hui, en l’absence de cachets, ce montant est de facto plus élevé, tournant aux environs de 1 500 euros. »

On est donc loin des rémunérations habituellement perçues par les intermittents.

« Les revenus sont en moyenne divisés par deux », constate Yannis Jean, délégué général du Syndicat de cirque de création, qui souligne aussi que « sur les 270 000 intermittents, seuls 120 000 sont indemnisés et ont donc accès à l’année blanche. Les autres, qui n’ont pas fait assez d’heures pour entrer dans le régime, n’ont rien. »

Philippe Gautier, secrétaire général du Snam-CGT, tient lui à relativiser la mesure élyséenne : « Si la crise n’avait pas eu lieu, le montant de l’année blanche aurait de toute façon en grande partie été reversé aux intermittents. Ce n’est donc pas une dépense nouvelle pour l’Etat, comme l’est l’activité partielle. »

Dommage collatéral de l’« année blanche » : les droits sociaux. Ces derniers sont normalement basés sur l’activité, pour autant, la prolongation ne correspond qu’à l’allocation.

« Tout le système est assis sur les cotisations liées à l’activité. Ce qui signifie actuellement pour les intermittents de très graves problèmes d’accès au droit à la formation, à la médecine du travail et surtout à l’assurance maladie », précise Aurélie Foucher, déléguée générale de Profedim, syndicat professionnel des festivals et ensembles indépendants.

Le contexte se révèle particulièrement tendu pour les « matermittentes », les intermittentes privées de leurs droits suite à un congé maternité. La CGT a déposé une plainte devant la Défenseure des droits.

Primo-accédants oubliés
« Cette année blanche a été faite à la va-vite », pointe le sociologue Mathieu Grégoire, chercheur à l’université Paris-Nanterre et auteur de Les intermittents du spectacle, enjeux d’un siècle de luttes (La dispute). La difficulté tient au fait que l’intermittence repose sur deux ministères : le Travail et la Culture. « Le ministère de la Culture a un rôle de lobbying pour peser dans les arbitrages, mais en réalité n’a pas de poids politique, poursuit Mathieu Grégoire. C’est le ministère du Travail, avec l’Unédic, qui a la main sur le sujet. » A cela s’ajoute une tension historique entre l’Unédic et le ministère de la Culture, accentuée encore avec la renégociation des annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’assurance chômage en 2016.

Mais surtout, face à la crise sanitaire, l’enjeu majeur concerne les primo-accédants, ceux qui auraient dû entrer dans l’intermittence du spectacle si la pandémie n’avait pas entraîné la fermeture des lieux culturels. Le retour à une situation normale allant prendre plusieurs mois, voire des années, comment les jeunes artistes vont-ils pouvoir faire le nombre d’heures requises pour devenir intermittents ?

« Il faut absolument réfléchir à un assouplissement des conditions d’accès au régime, en termes d’heures et de durée de travail, défend Philippe Gautier. L’année blanche doit en outre être poursuivie jusqu’à un an après la réouverture des lieux culturels. »

De son côté, Pierre-Michel Menger fait part de son inquiétude à plus long terme : « En art, la formation initiale en école est loin d’être suffisante, c’est l’accumulation d’expérience qui est nécessaire. Or celle-ci est à l’arrêt, le capital humain artistique est érodé, les pertes de chance sont dramatiques. On va assister à un goulot d’étranglement avec les cohortes d’artistes des années ultérieures. » Nombre d’intermittents, en particulier dans le domaine du spectacle vivant, envisagent déjà des projets de reconversion.

L’avenir pourrait donc être marqué par un fort ralentissement du régime, alors qu’il était en expansion au cours des dernières années : le rapport du Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture paru en novembre 2020 note qu’en 2018, 127 000 salariés artistes et techniciens du spectacle ont été indemnisés au moins une journée par l’assurance chômage, soit une augmentation de 16,1 % par rapport à 2010.

Faut-il à l’aune de la crise reconsidérer le dispositif en lui-même ? L’acteur Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires, appelle à intégrer davantage de professions au régime :

« Aujourd’hui, des métiers intermittents comme les guides conférenciers sont complètement oubliés et sont les victimes de la crise. »

Pas sûr néanmoins que la situation économique post-Covid incite les pouvoirs publics à ouvrir encore plus le régime, qui reste la bête noire historique du Medef.

La prochaine renégociation des annexes 8 et 10 de l’assurance chômage prévue en 2022 s’annonce d’ores et déjà particulièrement houleuse.

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