Aujourd'hui, c'est dimanche. Voici des infos de
Dendrobate Doctor et nous sommes ensemble pour faire l'état de la recherche sur l'épidémie de Covid-19.
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FAKE DE LA SEMAINE
C’est une vidéo qui a pas mal tourné cette semaine, par Facebook, groupe Whatsapp ou mail (ah les bonnes vieilles chaines de mail, ça nous avait manqué) : les masques et les gestes barrière seraient inefficaces. Si le message a été relayé plein de fois par des illustres inconnus, l’homme dont nous parlons aujourd’hui est plus préoccupant puisqu’il se dit médecin et spécialiste du sujet.
Toutefois, Jérémie Mercier n’est rien de cela, et de fait les propos qu’il tient sont sujets à caution. Certes, il est docteur, mais comme mes collègues historiens ou informaticiens sont docteurs : ils ont un doctorat (en histoire, en informatique etc.), aucune formation médicale. S’il prétend donner des conseils de spécialiste de santé, c’est qu’il est « Coach en santé naturelle » sur la base des compétences acquises lors de son « doctorat en recherches environnementales ». Or, comme le montre le PDF de sa thèse que j’ai retrouvé ici (
https://www.jeremie-mercier.com/wp-cont ... 6V1Zg5ZA_M), cela non plus n’est pas vrai, puisque le manuscrit a été présenté pour le diplôme de philosophie. Ça commence à faire beaucoup pour le même, mais voyons dans quoi il se spécialise.
Son cheval de bataille, c’est le décrassage du foie. Et il faut là-dessus être très clair : un foie, ça n’a pas besoin d’être « décrassé », ça n’est pas un joint de culasse. Soit votre foie fonctionne normalement, et c’est tant mieux. Soit il dysfonctionne d’une manière silencieuse et c’est une prise de sang qui vous le dira (et en ce cas, il n’y aura pas besoin de décrasser quoi que ce soit, le foie récupère tout seul, il faudra simplement arrêter de lui envoyer n’importe quoi à la tronche, comme l’alcool, le chocolat ou le paracétamol). Soit votre foie dysfonctionne d’une manière visible et vous êtes aux urgences (et jaune, très jaune), auquel cas les toubibs vous placeront sous assistance lourde le temps que votre foie parvienne à se réparer ou qu’on vous trouve un donneur pour une greffe. C’est tout. Le reste, ce sont des discours New Age pour vous vendre des bouquins, des conférences et des presses à fruits beaucoup trop chers.
Sur le masque, il a le même discours déjà lu et relu et déjà débunké mais dont je fais un très rapide rappel :
* « c’est marqué sur la boite que ça ne protège pas du virus » : oui, parce qu’une protection ne peut être garantie directement avec des masques grand public, et si ce n’était pas marqué, les professionnels de santé pourraient s’en servir en croyant à tort être protégés, ce n’est pas le grand public qui est visé par cette mise en garde.
* « le masque n’empêche pas d’attraper le virus » : non, il empêche de le transmettre, sauf que si on en met à tout le monde et que, du coup, plus personne ne le transmet, plus personne ne l’attrape non plus.
* « le virus est plus petit que les mailles du masque » : et les globules rouges sont plus petits que les pores de la peau, c’est pas pour autant que tout le monde se vide de son sang en permanence. Il y a d’autres facteurs qui jouent, notamment le fait que le virus, pour survivre, doit être protégé par des gouttelettes (qui elles sont plus grosses que les mailles), ou encore la simple électricité statique qui fait que les particules très fines sont attirées par les fibres et se collent dessus comme vos cheveux à votre pull en mohair en hiver
* « tout ça est un complot qui arrange bien des gens » : non la situation actuelle n’arrange personne, avoir des mesures sanitaires drastiques au travail, des chômeurs comme s’il en pleuvaient, des entreprises qui ferment et la pire situation économique depuis la Seconde Guerre Mondiale, ça n’arrange personne. Et comme on fait face dans son cas à un énième complotiste qui fait une fixation malsaine sur Bill Gates, aujourd’hui, on parlera de Bill Gates (voir section « Qu’est-ce que putain de quoi ? »)
DECOUVERTE DE LA SEMAINE
C’est une découverte encore en pointillé cette semaine, mais qui enthousiasme les chercheurs et les médecins. Le CNRS a publié une étude, encore en préprint (et disponible ici :
https://www.biorxiv.org/content/10.1101 ... q4kn6DlNu4), réalisée en collaboration avec Sorbonne Université.
Le concept est de crée des « leurres » pour le virus à l’aide de peptides, des sortes de très petites protéines. Si vous vous souvenez de ce que j’avais expliqué sur le système de « clé » que le virus possède pour rentrer dans la cellule, c’est à nouveau cette clé qui est visée. Le peptide rencontre la clé qui le prend pour une entrée de cellule et essaye de se lier avec. La liaison est pensée pour être particulièrement puissante, irréversible, privant le virus de sa « clé », il faut imaginer que pour empêcher le virus de franchir la porte de la cellule, on le bombarde de serrures-leurres enduites de superglue (oui, la vulgarisation de la chimie organique, c’est pas facile, j’ai les images que je peux…). Le virus entrerait donc bien dans le corps, se baladerait dedans mais serait incapable de se reproduire avec les cellules pulmonaires et se contenterait de flotter doucement des les fluides humains jusqu’à ce que mort s’en suive, si jamais on admet qu’un virus est vivant (et je laisse mes collègues se battre à ce sujet).
Les limitations sont les suivantes : on ignore si c’est leurres vont fonctionner sur d’autres cellules que celles des poumons, ce qui permettrait au virus d’infecter d’autres zones de l’organisme (les séquelles comme la perte de l’odorat par exemple seraient donc toujours d’actualité) ; l’usage serait dans un premier temps prophylactique (en prévention, pour des gens encore non-malades mais, par exemple, exposés par leur métier ou en contact avec un malade) et ne permettrait pas encore un usage thérapeutique.
Plus d’essais cliniques sont attendus, dès que la revue par les pairs sera terminée.
PISTES DE LA SEMAINE
*Dépistage : afin d’augmenter les capacités de dépistage et la rapidité des tests, l’Académie de Médecine encourage le recours aux chiens renifleurs, après que les tests de détection du Sars-Cov-2 par des équipes cynophiles spécialisées se soient révélés encourageants.
Source : Académie Nationale de Médecine
*Surmortalité : si depuis le début de l’épidémie, les hommes meurent plus que les femmes, des chercheurs de l’université de Yale pensent avoir compris pourquoi. L’étude, publiée dans Nature (disponible ici :
https://www.nature.com/articles/s41586- ... erence.pdf) montre que hommes et femmes réagissent différemment à l’infection, en particulier au niveau de leur production de Lymphocytes T, beaucoup plus importante chez les femmes. Une étude importante qui pourrait aboutir à des thérapies ciblées différentes pour hommes et femmes (renforcement d’immunité chez les uns, régulateur d’immunité chez les autres) et à des politiques vaccinales différentes, notamment en termes de doses administrées.
*Plasma : si le transfert de plasma de patients guéris a montré son innocuité, les résultats curatifs n’ont pas été très concluants. Toutefois, les essais cliniques en cours sur son usage pour immuniser avant infection les personnes fragiles exposés donne des résultats préliminaires encourageants.
Source : Université Johns Hopkins
IMPASSE DE LA SEMAINE
*Hydroxychloroquine : oui, moi aussi j’en ai marre, mais c’est pas ma faute si certains ont fait en sorte de braquer les yeux du monde sur un traitement bancal et que c’est long de débunker tout ça. Après les études observationnelles, les interventionnelles, les contre placebo, les en double-aveugle, la première méta-analyse sur le sujet vient de sortir (je vous renvois à l’Echo des Labos du 19 juillet, section « Point méthode de la semaine » pour un rappel sur pourquoi la méta-analyse est une preuve puissante, et que sur l’échelle de fiabilité du savoir, elle est à 7 sur 8, seulement battue par le consensus scientifique). Et les résultats ne sont pas brillants. Les chercheurs des Universités de Neuchâtel et Lausanne (en Suisse) et de l’Inserm (France) ont compilé les résultats d’une trentaine d’études associant hydroxychloroquine (HCQ) et azythromycine (AZ) face à des groupes contrôle, incluant au total 11.932 patients sous HCQ seule, 8.081 sous HCQ+AZ et 12.930 dans le groupe contrôle. Le résultat est que aucune augmentation ou diminution de la mortalité n’est statistiquement significative quand on regarde l’HCQ seule, en revanche son association avec l’antibiotique AZ montre un risque de mortalité supérieur de 27% à celui du groupe contrôle. L’étude est disponible ici (
https://www.clinicalmicrobiologyandinfe ... ctitle0120) et l’interview des membres de l’équipe par France Info (disponible ici :
https://www.francetvinfo.fr/sante/malad ... Rm2LB-65fA) est à mon sens éclairante sur les biais qu’ils ont constaté dans les études analysées et comment ils ont été gérés. On va être honnête, plus personne n’est surpris. A part ceux qui ont décidé que, peu importe la preuve qu’on leur présente, ils ne changeront pas d’avis. Et une croyance dont on refuse de démordre peu importe la preuve en face, ça n’est pas de la science, c’est du dogme.
MAUVAISES NOUVELLES DE LA SEMAINE
*Entreprises : avec les retours de vacances, les clusters augmentent en entreprise. Ils constituent désormais 33% des 352 clusters actifs, dont les deux tiers sont considérés comme ayant une « criticité élevée », c’est-à-dire un fort pouvoir de contamination.
Source : Santé Publique France
*France : l’épidémie progresse désormais à nouveau selon un schéma exponentiel. On recense ainsi 26.891 nouveaux cas cette semaine contre 17.095 la semaine précédente, alors qu’il n’y a pas de différence notable dans la fréquence et l’intensité des dépistages entre ces deux périodes.
Source : Santé Publique France
BONNE NOUVELLE DE LA SEMAINE
*Jour du dépassement : pour la première fois, le jour du dépassement a vu sa date reculer au lieu d’avancer. Ce jour symbolique où l’humanité à consommer les ressources produites par la Terre en une année et vit à compter de là « à crédit » est passé du 29 juillet l’année précédente au 22 août cette année, notamment grâce au confinement et au ralentissement de l’activité humaine.
« QU’EST-CE QUE PUTAIN DE QUOI ? »
Bon. Il faut qu’on parle de Bill Gates vous et moi, parce que là ça devient ingérable. Ce qu’on pense du personnage, de sa carrière et de son entreprise est un sujet que je n’aborderai pas aujourd’hui, je voudrais me concentrer sur le fait que l’informaticien est en train de devenir un tel réceptacle à fantasmes malsains que, pour la clarté des débats qui suivront, il faut s’attaquer au sujet.
Déjà pourquoi lui ? Ce n’est pas tant Bill Gates qui pose problème que sa fondation, la Fondation Bill et Melinda Gates (que je vais abréger en FBMG par flemme). La fondation a, entre autres, une activité importante dans la mise en place et le soutien de campagne de vaccination (il y a beaucoup d’autres choses, notamment des programmes d’alphabétisation dont personne ne parle et des inquiétudes légitimes sur certains investissements du fond, mais là n’est pas le sujet) et je pense que c’est vraiment ça qui suscité les foudres. En effet, les études faites sur le sujet (notamment celle d’Antoine Bristielle, de SciencesPo Grenoble), montre des liens étroits entre les anti-masques, les complotistes et les antivaxx (ainsi, 90% des anti-masques étudiés par A. Bristielle pensent que « le ministère de la Santé est de mèche avec l'industrie pharmaceutique pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins »), et, dans les discours qui accusent Bill Gates d’être partie prenante dans la crise du Covid, c’est presque toujours du potentiel vaccin dont il est question.
L’obsession pour l’homme d’affaires a pris une tournure un peu plus stupéfiante lorsque les théories du complot à son sujet ont commencé à être relayé par des membres de la classe politique, par exemple, la députée italienne Sara Cunial, qui a accusé en pleine séance le patron de Microsoft de « crimes contre l’humanité » en Inde, au point que le ministre de la santé indien a dû démentir lui-même. Tour d’horizon, donc, des rumeurs qui ne seront plus acceptées en débat et feront que je me réserve le droit de qualifier les propos de quiconque les utiliserait de « foutaises » (si je suis polie et de bonne humeur).
* « Bill Gates a créé l'Institut Pirbright qui avait un brevet sur le coronavirus avant l’épidémie » : la FBMG a financé cet institut, qui est un centre de recherche en épidémiologie, pour des travaux sur les zoonoses. L’institut ne travaille sur aucun virus animal et le fameux brevet (ici :
https://patents.justia.com/patent/10130 ... ptJw5YA8xE) traite d’u autre coronavirus qui donne des bronchites aux volailles (oui, les conspi ont confondu une pandémie mondiale avec des poules qui toussent, tout va bien).
* « Bill Gates a empoisonné des petites en Inde avec un vaccin contre le cancer du col et sept d’entre elles en sont mortes » : la FBMG a financé une ONG locale, appelée PATH, qui a mis sur pied une campagne de vaccination HPV. Sept décès sont survenus, et il y a donc eu enquête pour en connaître la cause (le rapport d’enquête est ici :
https://pdfslide.net/reader/f/hpv-vacci ... NpIN7-S5pY) et sur les 7 fillettes décédées, une est tombée dans un puit, une a été mordue par un serpent, deux ont été empoisonnée au phosphore lors de travaux agricoles, une autre encore du paludisme. Les deux seuls cas potentiellement liés à des effets secondaires (fièvre inexpliquée) sont survenu plusieurs mois après le vaccin, qui a été mis hors de cause.
*Variante : « Bill Gates est poursuivi par l’Inde pour avoir injecté ce vaccin » / Variante « En fait ce vaccin était un moyen de stériliser des femmes contre leur consentement et Bill Gates est poursuivi en Inde pour ça » : des irrégularités ont été soulignées dans la campagne de PATH (la FBMG n’a été à aucun moment en cause) liées à des problèmes de consentement éclairées des patientes en raison de problème de dialecte. Le pays a estimé que c’était un simple problème logistique et n’a souhaité poursuivre personne. Le rapport est ici :
http://164.100.47.5/newcommittee/report ... ATonvdQlNk
* « Bill Gates a vendu 1.2 milliards de dollars un vaccin contre la polio qui a paralysé un demi-million d’enfants » : celle-là est un peu technique, parce qu’il y a deux problèmes mélangés. Le premier, une étude controversée car méthodologiquement faible qui étudie la survenue d’une maladie ressemblant à la polio et trouvant un surnombre de 491.000 cas par rapport à l’incidence attendue, qui pensent que cela est lié à des surréaction immunitaires et qui préconisent de réduire la fréquence ou la dose des campagnes de vaccination contre la polio. Les conclusions des auteurs sont contestées et je vous laisse un lien pour comprendre pourquoi (
https://factuel.afp.com/non-le-vaccin-c ... HQOv6C56IA). Le second, le chiffre de 1.2 milliards, qui est le montant investi (et non reçu) par la FBMG dans des projets de développement en Inde. Ce chiffre englobe des projets variés (vaccination, mais aussi soins néonataux, contraception et accès à l’eau potable) depuis 2003, donc ce n’est pas le montant impliqué dans cette campagne précise.
* « Bill Gates devrait être poursuivi pour crime contre l’humanité, d’ailleurs l’Inde a rompu tout partenariat avec la fondation et la menace en justice » : je cite le ministre de la santé indien lui-même "C’est une affirmation trompeuse et erronée. La Fondation Bill et Melinda Gates continue de coopérer et de soutenir le Ministère de la santé et du bien-être de la famille".
* « Bill Gates va nous implanter des micro-puces avec le vaccin » : hormis la traditionnelle panique de la puce liée au vaccin, on peut peut-être trouver l’origine de celle-là dans le projet de tatouage vaccinal développé par la FBMG pour les pays où il est compliqué de disposer d’un carnet de santé. Comme préciser ici (
https://stm.sciencemag.org/content/11/5 ... P0_KQjiMh4), ce système permet de laisser une marque vaccinale, indiquant quel produit a été reçu et quand, de manière à pouvoir être lu par un appareil spécialisé. Il n’est pas lisible par le quidam, ne géolocalise rien ni personne, n’est pas un objet de contrôle mental, et la liste des divagations est longue.
Voilà, si jamais vous entendez tourner en boucle un autre fake sur l’homme qui a quand même permis le développement des ordinateurs que les complotistes utilisent pour l’insulter, faites-moi signe, je verrai si ça peut faire l’objet d’un prochain débunkage.
POINT METHODE DE LA SEMAINE « c’est un vieux médicament » est un vieil argument
Avec la méta-analyse sur l’hydroxychloroquine, on voit ressortir le discours « c’est un vieux médicament/on connait bien ses effets/si vraiment ça n’était pas bon, on ne l’utiliserait plus ». Tout ça, c’est l’appel à l’ancienneté, ou argument ad antiquitatem, qui nous fait préférer les choses anciennes ou les méthodes « parce qu’on a toujours fait comme ça ». Or, s’il est intéressant d’avoir du recul sur des produits, celui-ci ne sert pas à grand-chose quand le problème auquel il s’attaque est, lui, nouveau. La tradition ou l’habitude, ça peut être un bon point de départ, mais si accrocher coûte que coûte est une erreur parfois fatale. En médecin, l’exemple de la saignée est bien connu : quelque chose pratiqué pendant des siècles, qu’on pensait bien comprendre, qu’on croyait bénéfique et dont on ne voyait pas pourquoi changer de méthode. Et si cette attitude nous parait stupide aujourd’hui, rappelons-nous que nous sommes tous sujets à ce biais, simplement, sur d’autres objets.
En espérant avoir pu apporter un peu de lumière dans le chaos ambiant, je rends l'antenne, et on y retourne la semaine prochaine, car l'épidémie ne semble pas vouloir nous lâcher. En attendant, prenez soin de vous et des chercheurs qui bossent dur, et, autant que possible, restez chez vous.